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Lutter contre les abus des influenceurs : des mesures adaptées aux enjeux en 2023

Lutter contre les abus des influenceurs, Au début du mois de juin, l’Assemblée nationale puis le Sénat ont adopté une loi visant à encadrer les pratiques des influenceurs. Cette nouvelle législation fait suite aux différentes dérives qui ont entaché le monde de l’influence, en particulier l’affaire des « influvoleurs ». Mais ces mesures sont-elles réellement adaptées aux défis de ce métier émergent ? Peut-on parvenir à une influence responsable, notion adoptée par l’ARPP (autorité de régulation professionnelle de la publicité) ? Pour répondre à ces interrogations, nous avons échangé avec Quentin Bordage, fondateur de Kolsquare, une plateforme de mise en relation entre marques et influenceurs, et auteur d’une newsletter consacrée à l’influence responsable. L’entrepreneur a participé à l’ensemble des consultations à Bercy.

Les dérives des influenceurs : un phénomène médiatique

Les dérives des influenceurs, en particulier ceux issus de la télé-réalité ou basés à Dubaï, étaient un phénomène communément admis. Depuis plusieurs années, de nombreuses pratiques douteuses, voire illégales, ont été pointées du doigt : publicité déguisée ou mensongère, dropshipping, promotion de la chirurgie esthétique, de produits contrefaits ou dangereux pour la santé, etc. Cependant, les créateurs de contenu ont rarement été inquiétés pour ces excès.

Au début de l’année 2022, le rappeur Booba décide de s’intéresser à cet univers, en raison de querelles personnelles l’opposant à l’influenceur Marc Blata. Élie Yaffa, de son vrai nom, se donne alors pour mission de dénoncer ce système, en ciblant une de ses figures de proue : Magali Berdah, directrice de l’agence d’influenceurs Shauna Events. Booba explique les raisons de cette démarche au journal Libération : « Au-delà de n’avoir aucun talent, de faire la promotion de la culture du vide, de la débilité et de ne pas payer leurs impôts en France, ils entubent des citoyens (notamment des adolescents) en leur vendant des saloperies. »

La forte visibilité du rappeur contribue à mettre le sujet à l’agenda médiatique, et la classe politique s’en empare progressivement. Le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, réagit en déclarant : « [Booba] a raison de rappeler qu’il y a des dérives, qu’elles sont inacceptables, et nous y mettrons fin. »

Une législation pour encadrer le monde de l’influence

Si le gouvernement avait pour projet d’encadrer le métier d’influenceur, la médiatisation du scandale des « influvoleurs » ainsi que les différentes initiatives parlementaires ont accéléré le calendrier. Le ministère de l’Économie a donc participé à une proposition de loi transpartisane déposée par les députés Stéphane Vojetta (Renaissance) et Arthur Delaporte (Parti Socialiste). L’objectif de ces discussions était de proposer un cadre légal visant à limiter les dérives tout en préservant la liberté de création des influenceurs.

Selon Quentin Bordage, l’enjeu des discussions était de proposer un cadre légal visant à limiter les dérives tout en préservant la liberté de création des influenceurs : « Le discours a toujours été un peu le même de la part de Bruno Le Maire et de ses équipes : c’est un marché qui est conséquent, qui est en train de grossir, qui prend de l’ampleur. Il ne faut pas le brider […] Aujourd’hui, il y a 150 000 influenceurs au-dessus de 5 000 followers, donc il y a une activité économique et créative qui se développe autour de ça. »

La proposition de loi, adoptée à l’unanimité, établit plusieurs règles, dont l’interdiction de promouvoir certains biens et services comme la chirurgie esthétique. De ce point de vue, la loi va plus loin que la réglementation de la publicité. Elle impose également l’obligation de mentionner les retouches sur les photos à visée publicitaire et crée une assurance civile pour les influenceurs installés à l’étranger. Une brigade de l’influence responsable, composée de 15 agents et abritée par la DGCCRF, a également été créée. Si l’activité d’influenceur était déjà soumise aux lois relatives à la publicité, cette nouvelle législation permet de dissiper le flou qui entourait l’univers de l’influence : « L’avantage de cette loi, c’est qu’elle a permis de définir ce qu’était un influenceur et un agent. Cela a établi les rôles et responsabilités de chacun. Le guide de bonne conduite a aussi permis de clarifier les choses. »

Dans la foulée de l’adoption de la loi, 6 influenceurs ont été sanctionnés pour pratiques commerciales trompeuses et contraints de publier une publication de la répression des fraudes sur leur compte Instagram durant un mois. Trois nouveaux influenceurs ont également reçu une mise en demeure de la DGCCRF pour le même motif.

Un guide des droits et des devoirs pour les influenceurs

Parallèlement à la loi, le ministère de l’Intérieur a publié un document intitulé « Guide de bonne conduite, Influenceurs et créateurs de contenus : L’essentiel de vos droits et devoirs ». Ce guide répertorie l’ensemble des règles qui s’appliquent aux créateurs de contenus, ainsi que des informations de nature administrative. Il aborde notamment les obligations fiscales et sociales, la relation contractuelle liant l’influenceur avec l’agence, etc. Selon Quentin Bordage, ce guide représente une occasion de communiquer auprès des influenceurs, dont certains ignorent les règles qui régissent leur activité : « Les règles sont parfois méconnues par les marques, et surtout par les influenceurs. Ils sont souvent très jeunes, n’ont pas de formation spécifique et viennent également d’autres activités : ils peuvent être sportifs, créateurs ou écrivains […] Le guide de bonne conduite est aussi là pour informer sur ces règles qui ne sont pas toujours nouvelles, mais qui étaient méconnues. »

Le guide se veut pédagogique mais également dissuasif, en rappelant les sanctions encourues en cas de non-respect des règles.

La certification « Influence responsable » de l’ARPP

La certification « Influence responsable », éditée par l’ARPP, existe depuis 2021. Elle vise à promouvoir un marketing d’influence éthique et responsable, respectueux des publics. Pour obtenir cette certification, les influenceurs doivent suivre un parcours de préparation d’environ 3h30, reprenant les principales règles éthiques et juridiques, avant de passer un examen pour lequel ils doivent obtenir au moins 75 % de bonnes réponses.

Cette certification ne peut pas garantir aux annonceurs que l’influenceur respecte toutes les règles, mais elle offre une indication quant à la démarche du créateur. L’entrepreneur Quentin Bordage constate un réel intérêt des entreprises pour cette certification, même si celle-ci ne concerne encore qu’un faible nombre d’influenceurs : « Les marques sont très intéressées par le fait de se tourner vers des influenceurs certifiés, parce que ça leur permet de limiter le risque et de travailler aussi de manière plus sereine. Mais il y a encore peu d’influenceurs certifiés : 800 sur les 150 000 que j’évoquais. Mais ça va augmenter et c’est une bonne chose. »

Vers une influence responsable : quelles perspectives ?

La nouvelle loi permet de clarifier les règles du monde de l’influence sans bouleverser le cadre existant, selon Quentin Bordage. Cependant, l’UFC Que Choisir regrette que la loi n’aille pas assez loin. Dans un article intitulé « Encadrement des influenceurs – Un grand débat pour pas grand-chose », l’association de consommateurs rappelle qu’un grand nombre de mesures étaient déjà applicables auparavant. Au sujet des nouveautés introduites par la loi, comme la brigade de l’influence responsable ou le guide des droits et devoirs, l’UFC Que Choisir exprime des doutes sur leur efficacité réelle : « Pas sûr que ce document, dont la consultation sera facultative, servira à quelque chose. »

La responsabilité des plateformes de réseaux sociaux reste limitée dans cette législation. Elles devront simplement mettre en place des mécanismes de signalement des arnaques facilement accessibles et produire un rapport annuel sur les signalements reçus. Les représentants des réseaux sociaux ont été réticents à l’idée de modérer eux-mêmes les contenus problématiques, selon Quentin Bordage : « Il y a eu aussi un accord qui a été signé avec les réseaux sociaux, mais ce n’est pas allé beaucoup plus loin. Le gouvernement demandait aux plateformes si elles étaient en mesure de faire remonter les contenus qui ne respectaient pas la loi, voire de les supprimer, mais les plateformes ont considéré que ce n’était pas leur rôle. »

La question environnementale est également au cœur du débat sur l’influence responsable. Comment avoir un impact positif sur l’environnement quand la nature même de l’activité consiste à encourager la consommation ? Les influenceurs peuvent toutefois jouer un rôle dans la promotion de comportements et de modes de vie à faible émission de carbone. L’ARPP a d’ailleurs intégré un module sur le développement durable dans sa certification « Influence responsable ».

En conclusion

la législation encadrant les pratiques des influenceurs constitue une avancée dans la lutte contre les abus, même si certaines critiques soulignent qu’elle aurait pu aller plus loin. Les efforts des plateformes de réseaux sociaux et des influenceurs eux-mêmes sont également essentiels pour promouvoir une influence responsable, respectueuse des règles éthiques et juridiques, ainsi que de l’environnement.

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